INTERVIEW – Le peuple congolais n’est pas favorable à la cession des terres du pays au Rwanda

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Président exécutif du Mouvement Républicain (MR) et vice-président de l’inter-coalition des partis politiques de l’opposition en République du Congo, Destin Gavet ELENGO est aussi le Coordonnateur de l’ONG Urgences Panafricanistes dans le pays. Ingénieur géologue de profession, il occupe actuellement le poste de Directeur général de l’établissement GED Services, avec une expérience antérieure dans les secteurs forestier et pétrolier. 

Le MR, parti politique qu’il a fondé en août 2017, est le fruit de son engagement politique. En mars 2021, il a conclu un accord de gouvernement avec feu Guy Brice Parfait Kolelas, Président fondateur de l’UDH-Yuki, lors de l’élection présidentielle de cette année-là. Cet accord l’a désigné comme son représentant dans les départements du Niari, de la Bouenza et de la Lékoumou, trois des douze départements du Congo.

PAGESAFRIK.COM :  Après plusieurs années passées au pouvoir, le président de la République du Congo, Monsieur Denis SASSOU N’GUESSO a enfin eu une pensée pour la jeunesse congolaise en décrétant l’année 2024 comme étant l’année de la jeunesse. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Destin GAVET ELENGO: Choisir l’année 2024 comme année de la jeunesse est une manière de berner la jeunesse et de la détourner de son aspiration réelle qui est le changement de système et de régime. La jeunesse congolaise est en manque de tout. Elle souffre de nombreux maux, tels que le chômage, l’absence d’allocations chômage, le manque de soutien social et le non-paiement des bourses d’études, tant pour les étudiants de l’intérieur que de l’extérieur, depuis plusieurs années.

Cette annonce relève davantage de la démagogie, sans véritable intention de changement. Elle s’inscrit dans une stratégie de diversion et d’endoctrinement similaire aux années précédentes où l’on a décrété des années de santé et d’éducation à deux reprises, alors que la réalité dans nos hôpitaux et nos écoles demeure préoccupante. Il s’agit là encore des paroles en l’air.

Si le Président Denis SASSOU NGUESSO se préoccupe réellement du sort des jeunes, qu’il rapatrie les quatorze mille milliards des générations futures. Cet argent pourrait être investi dans la création d’emplois, le paiement des bourses et d’autres initiatives pour le bien-être de la population congolaise en général.

PAGESAFRIK.COM : Le Congo-Brazzaville, et particulièrement la ville capitale Brazzaville, est en proie aux violences attribuées à certains jeunes appelés communément « bébés noirs ». Quel regard portez-vous sur ce phénomène inquiétant ?

La montée de l’insécurité en République du Congo est très préoccupante. Nous assistons aujourd’hui à un abandon des responsabilités régaliennes de l’Etat envers le peuple. Ce dernier se retrouve livré à lui-même et décide de se faire justice. Nous voyons désormais régulièrement des cas de lynchage de présumés criminels qui sont dans la plupart des cas brûlés après avoir été battus à mort par la population. De telles pratiques vont à l’encontre des dispositions de l’article 8 de notre constitution du 25 Octobre 2015 qui stipule : La personne humaine est sacrée et a droit à la vie.

L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. Chaque citoyen a droit au plein épanouissement de sa personne dans le respect des droits d’autrui, de l’ordre public, de la morale et des bonnes mœurs. La peine de mort est abolie.

LE DÉPUTÉ HYDEVERT MOUAGNI SE RETROUVE EN DÉTENTION POUR AVOIR NOTAMMENT DÉNONCÉ L’INSÉCURITÉ CROISSANTE EN RÉPUBLIQUE DU CONGO

Malheureusement, l’État n’est pas en mesure d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens.

D’ailleurs, le député de la majorité présidentielle Hydevert MOUAGNI se retrouve ainsi en détention pour avoir notamment dénoncé l’insécurité croissante en République du Congo et l’incapacité du ministère de l’Intérieur et de la police à relever ce défi.

Il est impératif que l’Etat assume pleinement son rôle de protection des citoyens. Ce n’est pas négociable. C’est impératif et un devoir fondamental.

PAGESAFRIK.COM : Alors que la crise sociale sévit au Congo, les détournements de fonds sont monnaie courante et les auteurs de ces actes ne sont guère inquiétés par la justice congolaise. Quel est votre commentaire sur une telle gouvernance ?

En ce qui concerne les détournements de fonds publics et l’impunité qui en découle, nous pouvons dire qu’ils témoignent du dysfonctionnement de notre pays. La séparation des pouvoirs est une illusion, car la justice semble être soumise à des influences extérieures. L’on assiste ainsi à une justice aux ordres.

Le Président de la République ne cesse de pointer du doigt la faiblesse de la justice en affirmant même que « le ver est dans le fruit » dans le secteur judiciaire. Je tombe des nues lorsque j’écoute ce dernier évoqué les questions judiciaires.

Il est important de se demander qui préside le Conseil supérieur de la magistrature, qui en est le vice-président ? Ce sont respectivement le Président et son Ministre de la Justice. Alors que le pays fait face à une corruption endémique, nous sommes l’un des pays les plus corrompus au monde, le Président Denis SASSOU NGUESSO en porte la responsabilité première.

Des ministres ont été accusés de détournements de fonds sans pour autant être démis de leurs fonctions. Cela soulève des questions sur les liens entre le pouvoir et la corruption.

LA JUSTICE CONGOLAISE TRAQUE LES FAIBLES ET RESTE MUETTE FACE AUX CACIQUES DU POUVOIR EN PLACE

Un de ses ministres a construit une route imaginaire de plusieurs dizaines de milliards de FCFA, mais paradoxalement ce dernier est toujours Ministre. Un autre était épinglé par la Commission de la lutte contre la corruption avec plusieurs rapports à la clé, mais ce dernier est toujours au gouvernement aussi.

Vous comprendrez que le Président de la République aime travailler avec les corrupteurs et du coup nous avons une justice qui traque les faibles et reste muette face aux caciques du pouvoir.

PAGESAFRIK.COM : Nous avons reçu un communiqué de presse annonçant un concert de casseroles prévu le 21 avril 2024 dans la ville de Brazzaville. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette manifestation ? Et quelles sont vos attentes ?

Le concert de casseroles que nous avons initié s’inscrit dans la suite logique de ce que nous observons à Brazzaville et Pointe-Noire, les deux grandes villes de la République du Congo, sur la pénurie d’eau potable et les coupures de courant intempestives.

C’est une initiative pacifique, en accord avec notre constitution qui garantit les libertés de réunion et de manifestation. Elle s’inscrit dans une forme de protestation non violente – dans un pays où les libertés fondamentales ne sont que rarement garanties, quand bien même garanties par les dispositions de l’article 27 de notre constitution du 25 Octobre 2015– car il est inacceptable que dans l’un des pays les plus riches en ressources naturelles, la population souffre du manque d’eau potable.

L’eau, c’est la vie. Mais en République du Congo, il n’y a pas d’eau potable, donc pas de vie ! C’est inadmissible pour l’un des pays les plus arrosés au monde que la population manque d’eau potable. C’est de l’irresponsabilité et donc un échec cuisant de la part du gouvernement pour arriver à de tels résultats négatifs ; et ce, malgré d’innombrables richesses dont dispose notre pays.

Le boulevard énergique que le Président de la République avait promis depuis plus de deux (2) décennies n’est qu’une illusion. Voilà pourquoi nous appelons nos compatriotes à répondre massivement à cette initiative.

Nos attentes sont simples : c’est de voir l’amélioration radicale de cette situation honteuse et humiliante où nous voyons la population parcourir plusieurs kilomètres pour avoir de l’eau. La mauvaise qualité de l’électricité fait perdre non seulement des provisions aux populations, mais aussi fait abîmer plusieurs appareils électroniques aux paisibles citoyens.

Cette mobilisation est un signal fort à envoyer auprès de nos autorités, afin qu’elles optent pour une attitude de responsabilité vis-à-vis de ces maux.

PAGESAFRIK.COM : Le Congo-Brazzaville est un patrimoine commun et inaliénable. Quiconque tenterait de l’aliéner, soit-il Président de la République, est passible d’être arrêté et traduit devant la justice pour acte de haute trahison. Au-delà de cela, la question des terres cédées aux Rwandais et le poste stratégique occupé par Mme Françoise Jolie au sommet de l’État congolais sont autant de questions qui inquiètent les Congolais. Quelle est votre opinion sur ces questions ?

La terre est notre identité commune et nos ancêtres se sont battus pour que nous ayons ce pays dont nous sommes si fiers d’être les citoyens. La question de terres cédées au Rwanda fait couler beaucoup d’encre ; d’ailleurs, nous nous sommes prononcés le 10 avril 2024 au cours d’une conférence de presse que nous avons animée sur la question, en disant clairement notre opposition à cette entreprise.

Déjà, il faut dire que la chose la plus inquiétante est la contradiction qui règne entre le gouvernement congolais, qui parle de 120 km2 de terres cédées pour le développement du ricin, et les médias et hommes d’affaires rwandais, qui eux, parlent de 980 km2 de terres désormais devenues propriété du Rwanda pour y planter du piment et autres. C’est ce flou qui commence à déranger le peuple congolais.

En outre, il y a la question du respect de notre constitution du 25 Octobre 2015 dont l’article 219 est très clair : Nulle cession, nul échange, nulle adjonction du territoire national n’est valable sans le consentement du Peuple congolais appelé à se prononcer par voie de référendum. Or cette disposition a été violée par le gouvernement.

Enfin, le peuple congolais n’est pas aveugle ou sourd pour ne pas voir ce qui se passe dans l’Est de la RDC où le Rwanda est pointé du doigt, même par les Nations Unies, pour son soutien au groupe rebelle du M23. Pour finir sur cette première partie de la question, l’on peut dire sans se tromper que le peuple congolais n’est pas favorable à cette cession.

En ce qui concerne madame Françoise Joly, qui est conseillère au cabinet du Président de la République, honnêtement, moi Président de la République, je n’oserai pas nommer une personne de nationalité étrangère à une fonction aussi importante qui engage la souveraineté de l’État et surtout donne accès à des dossiers lourds et sensibles. Là encore, l’on se demande si cette dame possèderait des pleins pouvoirs au sommet de l’État tel que le dispose l’article 220 de la constitution du 25 Octobre 2015 (à l’exception du Président de la République et du ministre des Affaires étrangères, tout représentant de l’Etat doit, pour l’adoption ou l’authentification d’un engagement international, produire des pleins pouvoirs).

Nous avons assez des Congolais compétents qui auraient pu bien occuper cette responsabilité. Mais vous savez que le Président SASSOU NGUESSO est atteint par l’ivresse du pouvoir et que très souvent lorsque vous restez au pouvoir pendant une période prolongée (plus de 40 ans dans son cas), il arrive que l’on perd sa lucidité et que l’on prenne parfois des décisions qui peuvent s’apparenter à de la haute trahison envers son pays.

HOMMAGE AU PEUPLE SÉNÉGALAIS QUI A CHOISI LE CHEMIN DE LA RUPTURE ET DU CHANGEMENT

PAGESAFRIK.COM : En date du 24 mars 2024, le Sénégal venait de montrer aux yeux du monde qu’aucune dictature ne peut résister à la volonté d’un peuple debout et déterminé. La jeunesse congolaise peut-elle s’inspirer de l’expérience de la jeunesse sénégalaise, pour enfin sortir le Congo du joug de la dictature dirigée d’une main de maitre par Monsieur Denis SASSOU N’GUESSO ?

Avant tout, je renouvelle mes sincères félicitations au Président BASSIROU DIOMAYE Faye et je salue également le courage et la détermination de tous les cadres du PASTEF en général et de son Président Ousmane SONKO en particulier. Et surtout, je rends hommage au peuple sénégalais pour avoir remis les choses dans leur contexte en ayant choisi le chemin de la rupture et du changement. Enfin, je loue l’esprit républicain des sept (7) juges du conseil constitutionnel sénégalais.

LA JEUNESSE CONGOLAISE DOIT SORTIR DU SCHÉMA DES BILLETS DE 2.000 FCFA ET UN T-SHIRT

Vous savez, il ne s’agit pas seulement de la jeunesse congolaise qui doit s’inspirer de la jeunesse sénégalaise, mais c’est toute la jeunesse africaine qui doit se réveiller et particulièrement celle de l’Afrique centrale qui est dans une léthargie et surtout est déconnectée des grands bouleversements qui se font en Afrique.

La jeunesse congolaise peut effectivement se débarrasser de Denis SASSOU NGUESSO, mais cela nécessite une véritable prise de conscience, un patriotisme débordant, et une détermination inébranlable pour que cela se concrétise.

PAGESAFRIK.COM : La jeunesse est l’avenir d’un pays a-t-on coutume de dire. En tant que jeune acteur politique, quel message pouvez-vous adresser à la jeunesse congolaise en générale et plus particulièrement aux jeunes étudiants congolais abandonnés un peu partout dans le monde par le gouvernement congolais, au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, en Russie, entre autres ?

La jeunesse congolaise paie le prix fort de son silence et de son inaction, car elle est aujourd’hui méprisée par nos dirigeants. Elle n’est pas consciente des enjeux actuels, ignore sa force et se distingue par sa distraction. Il faut un véritable réveil et un changement radical de mentalité.

NOUS DEVONS NOUS UNIR SANS FAIRE DE DISTINCTIONS BASÉES SUR L’ORIGINE POUR ATTEINDRE NOS OBJECTIFS

J’invite la jeunesse congolaise à faire preuve de plus d’engagement, de détermination et de patriotisme ; plus de responsabilité et de dignité ; plus de sacrifice et de combativité. Nous sommes l’avenir et nous devons nous battre pour que les populations de notre pays vivent dans des conditions dignes d’un pays producteur du pétrole.

Notre jeunesse doit abandonner ses affiliations partisanes et tribales. Car pour nous défaire d’un régime autoritaire, nous devons nous unir sans distinction d’origine pour atteindre nos objectifs dans l’unité.

Par ailleurs, en ce qui concerne les étudiants abandonnés partout dans le monde, devenus presque la risée générale, mon cœur saigne d’autant plus que certains d’entre eux, faute de soutien, ont abandonné leurs études et travaillent maintenant dans des centres d’appels pour subvenir à leurs besoins. Quant aux filles, certaines se retrouvent dans la prostitution faute de soutien.

Il est indéniable que l’État agit comme ce père de famille qui envoie son enfant à l’étranger puis cesse de subvenir à ses besoins. C’est une irresponsabilité flagrante. Il en va de même pour ceux de l’Université Marien NGOUABI qui n’ont pas reçu de bourses d’études depuis plus de trois (3) ans, forçant ainsi la plupart d’entre eux, venus de l’intérieur, à arrêter leurs études.

Nous disons à ces jeunes de ne pas perdre espoir et de continuer à se battre. Bientôt, tout cela ne sera plus qu’un lointain souvenir, car le peuple finit toujours par triompher.

PAGESAFRIK.COM : Merci Monsieur GAVET pour votre disponibilité

C’est moi qui vous remercie.

Propos recueillis par Fred Günther Mbemba.

SOURCE : PAGESAFRIK.COM

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